Quantcast
Channel: Éditions L'Atelier Contemporain
Viewing all articles
Browse latest Browse all 285

Le bleu des lointains

$
0
0

Très étonnée d'être touchée par la peinture de Jean-Louis Bentajou dont elle n'avait jamais entendu parler (une peinture résolument abstraite qu'il n'était pas dans ses habitudes d'apprécier), Bernadette Engel Roux a voulu comprendre la source de son émotion. Ce qui pour elle passait nécessairement par l'écriture. Il en résulte ce texte à plusieurs strates qui correspondent à chacune de ses visites dans l'atelier. Une recherche qui, par d'autres biais, d'autres mots, rejoint celles du peintre dans ses livres. Deux textes, donc, qui se recoupent comme dans ces deux citations qui, chacune à sa façon, disent quelque chose de la démarche exigeante (et intempestive) du peintre.

Ce livre est né d'une seule œuvre : celle du peintre Jean-Louis Bentajou qui poursuit obstinément les fantômes d'une couleur toujours lointaine. Dans le silence de l'atelier, rassuré par la qualité de ce regard, le peintre commence à parler. Une parole ouverte et austère, précise et inquiète, à l'image de celle qu'il tente de poser dans les carnets de peintre dont il entretient la tradition, entreprise il y a longtemps, par une rédaction elle aussi inquiète.

« Il me fallait comprendre ce qui me tenait devant les toiles, plus longtemps que ne l'autorisait la seule curiosité ou l'instant de la découverte. Ce faisant, l'écriture dans son déroulement opérait autrement : elle s'est trouvée élucidant lentement, par fragments et diversement, l'énigme toujours neuve de leur puissance (puissante comme peut l'être une force immobile et silencieuse, et distante) de fascination et d'émotion, cherchant à travers les mots et par un long regard sur elles la source de leur vibration, son lieu et sa nature. Entre le mystère des toiles que rien ne préparait celle que je suis à aimer et moi-même quelque chose se passait, circulait. Cette adhésion avait sans doute son principe en moi, et sa mise en paroles laissait parler les toiles et me faisait aussi parler. La découverte que l'écriture révélait autrement fut un peu aussi une découverte de moi-même. ême. Je prenais conscience que dans cette circulation, d'un regard sur une œuvre peinte à mes formulations, se révélaient des espaces de moi-même que je n'aurais pas découverts autrement. Un sujet interrogeant, formulant se découvre partiellement lui-même sur le terrain de son exploration.
L'œuvre de Jean-Louis Bentajou ne se complaît pas dans l'autosatisfaction. Elle s'adresse à l'autre mais sans se départir de sa superbe, sans consentir jamais à la moindre révérence ou passe de séduction. Qu'elle s'adresse à l'autre, qu'elle l'attende et le cherche, je peux au moins en témoigner par mon expérience personnelle. Les toiles rangées sévèrement le long du mur de l'atelier, extraites et suspendues à leur crochet contre la paroi blanche pour favoriser, à la visite de l'ami ou de l'amateur, un long temps de contemplation, les toiles ainsi extraites de leur retraite, pour moi comme pour tel autre (les visiteurs sont rares pour une œuvre qui ne bat pas son tambour), se sont mises à vibrer, à rayonner, à développer quelque chose qu'elles gardaient en elles, à répandre un peu de leur insituable mystère. Et peut-être cette rumeur silencieuse, proche d'une jubilation, a-t-elle provoqué et comblé une attente en moi qui s'ignorait. Il est probable que devant tel autre, elles agiront tout autrement. Chaque œuvre singulière, comme la déesse, se propose nue et voilée et chaque fidèle, amateur ou amant, porte sur elle un regard qui n'est que le sien.
C'est ce regard solitaire, transféré au mode de la parole (au risque de la perte ou de l'altération) pour favoriser l'élucidation et le partage, que proposent les pages assemblées ici. La lente progression, parlée, de deux silencieux. » (Bernadette Engel-Roux)


Viewing all articles
Browse latest Browse all 285

Trending Articles