
On connaissait Markus Lüpertz comme peintre et comme sculpteur ; on le découvrira ici poète, orateur, essayiste. Aussi ancienne que sa pratique de la peinture, fruit de la même exigence portée avec la même vigueur, son œuvre d'écrivain réclame d'être lue à part – quoique l'écrivain en question s'affirme peintre corps et âme.
Cette apparence de paradoxe, entre autres « affirmations », le lecteur pourra l'approfondir au fil de cette sélection de textes écrits sur près de soixante ans, dans lesquels Lüpertz, en adepte du mystère, s'avance tour à tour sous le masque d'Orphée, du « rejeton de philosophe » et du peintre franc-tireur, faisant valoir avec une constance implacable sa vérité. Comme il le dit lui-même : faites-vous à moi, il n'y a pas d'autre moyen / il n'y pas de remède contre moi / je suis comme la pluie / je fais qu'en vous les fleurs fleurissent / que la terre respire, que le monde en vous vous paraisse supportable.
Préface d'Éric Darragon. Traduction de Régis Quatresous.
PRÉSENTATION :
En France, la situation de Markus Lüpertz est celle d'un illustre inconnu. Lorsqu'on le connaît, c'est comme peintre et sculpteur, en se souvenant surtout de la grande rétrospective de 2015 au Musée d'art moderne de la ville de Paris. Ceux qui le savent poète sont déjà moins nombreux ; et sauf àêtre fortement germanophiles, ils ne le connaîtront pas comme figure publique. Un inconnu, donc ; inconnu dont les toiles se rencontrent dans les plus grandes collections, dont les sculptures se dressent aux carrefours des métropoles ; inconnu, parce que là même où on le connaît le mieux, on ne le connaît jamais que de façon lacunaire. L'œuvre plastique, semble-t-il, éclipse l'œuvre écrite.
Ce malentendu ne serait pas trop dommageable si Markus Lüpertz n'avait entretenu lui-même une complémentarité réelle entre ses différentes pratiques. Certes, toiles et sculptures forment l'œuvre maîtresse, et Lüpertz se définit comme un peintre « corps et âme » parvenu à la littérature par le prisme de la peinture. Il n'en pas moins vrai que la chose écrite a occupé chez lui une place centrale dès ses débuts. Non seulement son travail plastique convoque des récits mythologiques et des figures tutélaires d'hommes de lettres, mais il a très tôt composé et fait paraître ses propres textes, en vers ou en prose. Enfin, ses articles et ses discours se sont multipliés dès lors que Lüpertz a accédéà une existence et à des responsabilités officielles.
Augmenté d'une préface signée Éric Darragon, spécialiste de l'art allemand d'après-guerre, ce volume propose une sélection d'écrits qui couvre la période 1961-2019 et permet ainsi d'apprécier, en un long regard d'ensemble, la complexité de cette figure d'artiste. Choisis dans un souci de représentativité des multiples formes d'écriture convoquées par Lüpertz, ces textes se composent de poèmes, de manifestes, de journaux de création, de discours, d'articles, de textes critiques consacrés à d'autres peintres, et même de brefs traités d'inspiration philosophique.
Sur le plan thématique, l'art et la position de l'artiste occupent bien évidemment une place de choix. Face à ce qu'on a pu nommer « crise de la peinture » Lüpertz se révèle un polémiste infatigable, revendiquant au nom de son art, avec un hiératisme provocateur qui n'est pas sans échos dans son œuvre peint, une liberté d'affirmer et un statut d'éternité qu'il oppose en particulier à l'influence de la politique et de ces supports artistiques concurrents que sont le cinéma et la photographie. Mais non moins remarquable est la constance avec laquelle l'artiste s'adonne à une poésie beaucoup plus proche de la tradition, convoquant notamment les thèmes communs de l'amour et de la mort : le contraste avec un « professionnalisme » dénué de pathos, tels que le revendique sa peinture, est alors saisissant.
Ouvrage publié grâce au concours de : la Birkelsche Stiftung für Kunst und Kultur, Köln ;
la galerie Michael Werner ;
la galerie Almine Rech.