
Tout d'abord un dessin de Patricia, auquel Albane répond par un poème. Puis Patricia répond à ce poème par un nouveau dessin. Albane, bien sûr, renvoie un second poème. Et elles ont continué ainsi. 37 dessins et 37 poèmes constituent finalement ce livre : le peintre n'a pas illustré le poète, ni inversement, mais tous deux ont dialogué, conversé, échangé, chacun avec ses armes.
Parce que les phrases ne sont pas boites de conserve, montres réglables, j'y creuse et cherche des raisons, des joies, des bouées. Des mots baleines tissent paletots pour quelques nuits d'hiver très froides.
Colère alors haute levée pour les aplatisseurs de verbes
les incolores de tous côtés, les langues-fumées.
Continuerai à tisser sens avec les sons, à tendre étendre mes chantiers, jusqu'à de nouvelles questions, à inventer.
Traduire ce qui arrive en face, ou bas-côtés,
aimer des poèmes-territoires, aimer rien d'autre,
arpenter champs pas défrichées, des lignes : vigoureuses, s'écrivant à tâtons, dépliées.
Cailloux galets et ceux du petit poucet, plumes d'anges,
rires déroulés, ballons de foot, aigrettes et fleuves,
mouettes et océans, tous les arbres de toutes les forêts,
les bosquets de lavandes aussi, les horizons, les girafes,
les opéras
Le monde rentre dans mes poumons dans mes oreilles et dans ma peau le monde en face et tout autour dessus ma tête et sous mes pieds et puis dedans à l'intérieur
il passe partout même par-dessous ma bouche cousue
passe-muraille il se faufile ou heurte brusque cogne à ma porte
(monde-cheval, monde-pelouse, monde-cerf-volant,
ou cinéma)
J'entends les feuilles tomber de haut j'entends ta voix j'entends l'orage qui ne gronde pas j'entends le clapotis de l'eau et les moteurs des mobylettes j'entends tes bruits dans la maison et dans la rue ceux qui trébuchent j'entends l'urgence des pompiers
Je ferme la télévision pour écouter les mots du monde,
souffles et sons
les phrases drôles
les musiques
je n'entends pas toutes mes bêtises
pardonnez-moi j'entends les vôtres j'apprends à rire
Albane Gellé
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Que le sujet soit végétal, animal ou tout simplement humain, les peintures et les dessins de Patricia Cartereau offrent leur dualité au regard : sous la beauté formelle, la fragilité des oeuvres, la récurrence du monde de l'enfance, sourdent la violence des rapports humains et l'inquiétante menace que représente le monde qui nous entoure. Ainsi les formes de l'enfance peuvent-elles se transformer en monstres terrifiants, une biche peut-elle symboliser la terrible fragilité qui pèse sur l'innocence. Chaque image en cache une autre, déplace la référence ou la questionne. La représentation la plus intime interroge l'humanité tout entière. Et chacune de ses œuvres est l'occasion pour le spectateur de remettre en question son regard et sa lecture : que se cache-t-il derrière l'évidence de ce que nous voyons ?