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Le Temps de peindre

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Carnets d'atelier 1975-1990 ; Textes 1979-2000 ; Entretiens 1984-2014

Réunissant d'une part carnets, d'autre part textes et entretiens dont l'écriture ou la parution s'échelonnent des années 1970 à aujourd'hui, Le Temps de peindre jette sur l'œuvre de la peintre Monique Frydman un éclairage neuf par son ampleur, sa densité et sa profondeur. C'est en effet le premier mérite de ce volume en deux volets, doublement préfacé et enrichi de cahiers iconographiques importants, que de proposer au lecteur une approche croisée de ce travail dans lequel l'écriture, avant, pendant, après, joue un rôle constitutif, ne serait-ce qu'en permettant à l'artiste de «rationaliser par la parole» ce qui advient dans sa peinture.

De fait, la lecture le révèle, les questions du hasard, de l'aléatoire ou de l'accident sont déterminantes chez une peintre dont la «grammaire picturale», loin d'être une constante, s'est formée au travers d'un long cheminement. Indices biographiques, énoncés d'intentions et regards rétrospectifs aideront le lecteur à reconstituer cet itinéraire complexe et sans cesse redéfini. L'abandon de toute activité artistique propre en 1967, quelques mois après la sortie des Beaux-Arts, au profit de l'action militante ; le retour à la peinture, au début des années 1970, à la faveur d'un questionnement identitaire dans lequel le féminisme agit en catalyseur ; l'abandon progressif de la figuration obsessionnelle du corps et l'accession à l'abstrait ; l'exploration de ses origines juives et du traumatisme de la Shoah ; la grande « découverte » de ces cordages et ficelles dont la trace sur la toile s'apparente à une signature ; les voyages en Australie, au Japon…éléments décisifs pour saisir une démarche où même l'usage de la couleur ne s'est imposé qu'au terme d'une lente «montée».

Les textes de conférences et l'évocation répétée, dans les entretiens, de certaines œuvres et figures d'artistes permettront également de situer Monique Frydman dans une constellation dont les grands astres seraient Cézanne, Rothko, Pollock, de Kooning, Matisse, Bonnard, mais aussi Sassetta, Le Greco ou les fresques pariétales de Lascaux. Non seulement son œuvre s'éclaircit à leur lumière, mais Monique Frydman jette sur eux un regard dont l'originalité se doit sans doute à cette forme aiguë d'empathie qui lui fait ressentir physiquement la façon ils ont travaillé. Étonnant et éclairant, par exemple, de la part d'une peintre abstraite, ce choix de se confronter à un polyptique de Sassetta pour saisir «la vibration des couleurs». Mais ce sont aussi, précisément, des notions classiques et donc problématiques telles que la figuration et l'abstraction qui ne cessent ici d'être remises en jeu.

Ouvrage fourni, donc, nécessaire mise à jour, et regard prolongé sur une artiste qui n'a pas fini d'œuvrer.

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Extrait de la présentation des carnets d'atelier ÉRIC DE CHASSEY

Il ne faudrait pas croire pourtant que ces carnets donneraient toutes les clefs du travail pictural de Monique Frydman. C'est ainsi que des événements que l'on sait par ailleurs, à travers les entretiens donnés au fil des ans, avoir été fondateurs, comme la maternité ou la visite des grottes de Lascaux, le 25 avril 1979, en compagnie de Catherine Francblin, n'y apparaissent pas, ou alors sans commentaire. Mais si l'on pense, comme l'a noté Karim Ghaddab à propos de la série Révélé de 2001, qu'une partie du travail de Monique Frydman est un travail d'écriture – puisque «les outils qui servent à les tracer – craies, fusain, pastels – ressortent davantage du registre de l'écriture que de celui de la peinture»– alors il n'est plus de raison de considérer séparément les carnets et les tableaux, même si, comme elle l'affirme, c'est «au registre de la peinture que mon œuvre avec obstination dans le temps fait sens». Les notes qui composent ces carnets ne sont pas des explications de la peinture, elles en forment plutôt une couche supplémentaire, virtuelle, qui accompagnera désormais les spectateurs des œuvres de l'artiste – et enrichiront leurs perceptions.

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Extrait de la présentation des carnets textes et entretiensGEORGES ROQUE

Par le biais de son histoire propre, Frydman rejoint une préoccupation ancienne, celle selon laquelle la lumière et l'éblouissement s'arrachent toujours sur fond d'obscurité et qui s'est cristallisée, pour plusieurs artistes, autour de ce que j'ai proposé de nommer le mythe de la caverne-atelier, lequel a pour point de départ une anecdote concernant Turner. On en trouve notamment une belle expression chez Matisse : «Turner vivait dans une cave. Tous les huit jours, il faisait ouvrir brusquement les volets, et alors quelles incandescences ! Quels éblouissements ! Quelle joaillerie !». De façon prémonitoire, notre artiste ne disait pas autre chose, dès 1985, soit avant d'avoir réalisé la plupart des séries qui viennent d'être mentionnées : «L'histoire de mon travail, c'est l'histoire de quelqu'un qui sort à la lumière et qui en est ébloui.»


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